jeudi 5 avril 2018

les voyages immobiles


Longtemps, je n'ai pas réalisé que je grandissais entourée de bibelots.

Longtemps, je n'ai pas remarqué que la colonie s'enrichissait petit à petit d'un mélange anachronique qui faisait fi des pays, des époques, des goûts esthétiques et des matières. Des petits cailloux ramassés sur chaque chemin de voyage, comme des amulettes, des passeports pour un retour immédiat sur des lieux de villlégiature longtemps rêvés, et que peut-être même, ils n'imaginaient pas voir en vrai un jour.

Longtemps, mon regard est resté indifférent devant ces témoins de voyages que je ne voyais que dans la lucarne du Super 8 pour des séances que je trouvais super barbantes : une pyramide, un fleuve, un marché, des arbres et des montagnes et de temps en temps, mes parents, souriants, posant devant l'objectif un peu tremblant de l'ami missionné pour tenir la caméra.

Jusqu'à ce qu'un jour une femme de ménage missionnée pour soulager ma mère qui devenait fragile, entra dans le salon et déclara que vraiment non, trop c'était trop et qu'elle refusait de faire la poussière de ces étagères surchargées. J'ouvrais alors les yeux sur cet assemblage hétéroclite, serré contre la cheminée comme sur un quai de train un jour où normalement il n'y a pas de grève,  et je classais sans trop y penser ce spectacle dans la catégorie des kitsheries parentales attendrissantes.

Quelques années plus tard, au détour d'une visite de musée, scotchée devant un discobole aux proportions parfaites, à l'origine et à l'authenticité dûment contrôlée, je vins à m'interroger sur mon manque d'étonnement devant ce vestige d'un passé fort fort lointain, venu d'un pays jamais visité. Puis le lendemain, après m'être frayée un passage pour apercevoir de loin le minuscule symbole de Bruxelles, je me surpris à ressentir ce même sentiment de déjà vu.

Ainsi donc, je me rendis compte que j'avais grandi, en toute ingénuité, au milieu d'une compilation géante, un best of des best of des monuments du monde et que mon cerveau avait enregistré dans la case "ça c'est bon Coco, on sait ce que c'est" une quantitéé non négligeable de symboles de la civilisation.

(N'empêche qu'en vrai le Discobole est vachement plus grand et que le Manneken Pis ne fait pas tire-bouchon. Et ça il fallait que je le vois de mes yeux pour m'en rendre compte. Ouf, toute forme d'innocence n'est pas perdue).


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