Amzer zo

C'est l'histoire d'une carte postale publicitaire accrochée dans la cuisine. Dessus, un bateau de pêche traditionnel, un homme de dos qui barre du pied et regarde au loin sans trace de précipitation ni d'angoisse visible. Et dessous le nom du bateau "amzer zo".

Une de ces expressions bretonnes entendues et lues à longueur d'enfance sur la poupe de bateaux, en tête de crêperies ou au fronton de maisons de vacances de bords de mer. Qui croisent et re-croisent la route sans que l'on se pose véritablement la question de savoir ce qu'elles signifient si ce n'est que ce doit être positif, optimiste ou amusant puisqu'on les voit partout.

D'habitude, un jour ou l'autre je finis par demander ce qu'elles signifient, pour me sentir moins étrangère à tout un pan de culture dont je suis exclue, moi qui suis née et ai grandie ici mais sans la langue, enseignée alors comme une option, comme le tricot ou le chinois, presque comme un folklore.





Maman plisse les yeux, tente alors de rendre cette expression qu'elle connait évidemment puisqu'elle a grandi avec les deux langues sans forcément jamais tenter de relier l'une à l'autre. Sa traduction a la saveur de ses recettes de cuisines et finalement on s'y retrouve très bien.

Cette année, ma traductrice est partie et ne peut plus répondre à mes questions.

La semaine passée, alors que je rangeais la cuisine désormais trop vide, jetant les vieux papiers sans importance, je n'ai pas pu jeter cette carte et je l'ai laissée accrochée au tableau avant de la prendre en photo.

Amzer zo.

Amzer zo se traduit parfois par "on n'est pas pressé ", même si littéralement cela signifie "il est temps". En tous cas c'est ce que j'ai trouvé sur des forums et des sites bretonnants.
Aucune idée si cela se rapproche de ce que m'aurait dit maman mais à défaut je prends.

Quand on perd quelqu'un, on aimerait pouvoir très vite fermer la porte, combler ce trou d'air béant qui fait froid dans le dos et s'en aller sans se retourner vers un avenir incertain, certes, mais que l'on préfère imaginer radieux, avec toute la foi de ceux qui ont perdu un bout d'innocence et savent bien que l'espérance est une stratégie de survie finalement très rationnelle.

Alors, ce changement d'année, c'est une aubaine. On voue 2013 aux gémonies et on accueille 2014 à bras ouverts, le sang neuf et l'âme lavée. On ouvre un nouveau chapitre, on achète un agenda neuf, des crayons bien taillée et tah dam, here I am.

A part que bien sûr, ça ne se passe pas comme ça. On ne peut pas tourner le dos aussi facilement à ce trou béant là.
L'esprit se cabre et résiste à la raison.
La mémoire se rebelle et les souvenirs s'accrochent.

Et tout à coup j'ai compris pourquoi cette carte me trottait dans la tête : s'il est temps d'avancer parce que tourner en rond ne rime à rien, il faut sans doute aussi se dire qu'on n'est pas pressé.

Amzer zo.