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La scène se passe à table, où la famille est réunie, joyeuse et affamée.
Humeur joyeuse et détendue, c'est à dire que chacun se planque en embuscade pour sauter sur la première nanoseconde de silence qui lui permettra de monopoliser l'attention pour raconter son highlight du jour, son acmé (juvénile) quotidienne, son moment de gloire ou l'immense injustice subie.
Les assiettes sont pleines, les verres aussi.
Ah non, deux verres sont vides.
Deux mains d'enfants se tendent vers la carafe pour se servir avant de se rétracter comme des souris devant une claquette chargée de fromage.
Que se passe-t-il ? se demande l'observateur avisé. A quel supplice se trouvent ainsi confrontés ces deux enfants jusque là aussi joyeux que des petits faons dans la prairie ?
C'est tout simple.
Les deux protagonistes de ce drame - car c'est un drame, viennent de se souvenir avec horreur de l'affreux dilemme qui se pose là, devant eux, comme un éléphant au milieu d'un magasin de porcelaines :
si le plus rapide remporte l'immense plaisir d'étancher sa soif en premier (à la barbe du second, condamné à se contenter de quelques gouttes ce qui en soit représente une double récompense), il devra également se conformer à l'injonction parentale énoncée à l'arrivée même des enfants à la table des grands "celui qui vide la carafe la remplit".
Ca n'a l'air de rien comme règle familiale, un simple arrangement pratique et concret.
Mais en réalité, remplir la carafe signifie se lever, faire 4 pas vers le robinet, faire couler l'eau pour qu'elle soit bien fraiche, emplir la carafe avant de fermer le robinet et de refaire 4 pas vers sa place et de s'asseoir de nouveau.
Soit1 minute d'absence de la salle des marchés où la minute d'attention se négocie plus chèrement que les droits de la coupe du Monde de foot.
Un vrai supplice.
Bien évidemment, cet insoutenable dilemme se solde immanquablement par une dispute, des récriminations, le recours à la théorie des rôles ou à de grands moments de mauvaise foi - toi, t'es le chouchou, de toutes façons personne ne m'aime, je suis l'aînée je fais ce que je veux, c'est toujours moi qui me lève, dis donc ça serait pas maman qui aurait vidé la carafe…., et l'appel final à l'arbitrage parental pour cause d'injustice éhontée.
De quoi animer un peu plus, s'il cela était nécessaire, ce grand moment de cohésion familial et d'amour fraternel.
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