lundi 16 décembre 2013

Marguerite ou la crise de la presse et la bataille de l'attention

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J'ai 3 ans, mon business model est encore fragile, mes revenus sont avant tout des dons de mécènes et des subventions publiques, mais je suis pleine de projets et d'enthousiasme et je crois en moi : je suis une start up.

J'ai 3 ans et je suis la nouvelle entrante sur un marché déjà très encombré.

Mes concurrents sont en place depuis un bon moment. Eux aussi vivent de subventions mais ils ont petit à petit développé des sources de revenus complémentaires, certes faibles mais qui suffisent pour me toiser du haut de leurs étrennes et de leurs baby-sittings occasionnels.
On se parle, parfois même on boit des pots ensemble et on se tape dans le dos : on forme une famille, hé, ce n'est pas rien.
Mais la plupart du temps on reste des opposants farouches, prêts à tout pour gagner notre plus grand challenge :

La bataille de l'attention (parentale)

Car nous avons devant nous une audience capricieuse.

(…)


Souvent lasse (le boulot, l'hiver, le poids des ans et les soirées sans fin) peu attentive (range la maison, regarde ses mails, joue sur l'iPad, fait la cuisine ou est au téléphone) et moyennement intéressée par les sujets de fond cruciaux (la vie, l'amour, la mort, "qu'est-ce qu'on mange ce soir" et "j'ai plus rien à me mettre")

Devant ces ennemis extérieurs, notre union est totale. Ah si nous pouvions nous assurer de ce temps de cerveau disponible mangé par ces démons de la vie moderne !

Mais admettons que notre audience, soit là, offerte, devant nous, les bras ballants et les oreilles grandes ouvertes,  et c'est alors la guerre qui commence.

Mes concurrents sont là depuis plus longtemps que moi. Pendant plusieurs années ils se sont partagés un gâteau confortable et ont construit une paix relative.
Chacun a sa technique.
Il y a les généralistes à forte portée et large circulation : ils parlent fort, ont un avis sur tout et se font une place à force de coups d'éclats et de déclarations fracassantes.
Il y a les mono-sujets qui investissent un créneau précis et s'y tiennent, par exemple, le rugby.
Il y a ceux qui attaquent au moment où les autres ont déserté et occupent des créneaux horaires délaissés, tard le soir, ou en matinale pour contourner la congestion de l'access prime time (avant 20 heures).
Et bon an, mal an, chacun y trouve sa place.

Mais depuis que je suis arrivée, cette belle amnistie a volé en éclat. Car il faut que moi aussi, jeune pousse de l'information, je me fasse une place. Chez moi, pas de sujets de fond : pas de temps, manque de recul.

J'ai alors développé une stratégie alternative pour court-circuiter ce système bien rodé. Je n'ai pas encore atteint Mat(ernelle) Sup ? Je manque de budget ?

Qu'à cela ne tienne, moi  je travaille l'émotion, l'humour et le divertissement comme personne.

Et ça marche hyper bien. Championne du monde de l'info virale, mes exploits figurent régulièrement en tête des pages Facebook et Instagram de mon audience captivée avec un nombre de likes à faire pâlir Justin Bieber. Je dépasse les frontières et les générations. Mes infographies sont légendaires et mes lecteurs augmentent encore mon succès en se faisant (gratuitement !) le relais de mes contenus.

Mes frère et soeurs crient à la concurrence déloyale, fustigent des méthodes trop faciles, qui ne font pas avancer le débat ni l'intérêt global, alors qu'eux aimeraient tant pouvoir argumenter, convaincre, faire avancer notre (micro) société. Ils cherchent à me dénigrer tout en jalousant mes méthodes, qu'ils n'hésitent pas à copier pourtant.

Notre système est bouleversé et oblige chacun à se repositionner pour ne pas disparaitre dans les limbes de l'oubli. Moi, jeune pousse, je commence à travailler le fond, tente des argumentations, essaie le storytellling. On a si vite fait de lasser avec le divertissement que je travaille sans cesse le renouvellement.
Mes frère et soeurs eux revoient leur modèle, s'allègent, vont à l'essentiel, et réservent les longs formats à des cases ultra-ciblées : week ends (audience captive, plus reposée, plus attentive), fin de soirée (lorsque la concurrence est moindre), mobilité (voiture, temps de trajets pédestres..)


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