lundi 20 avril 2015

Yvonne n'est pas à la fête



"S"il vous plait les enfants, tenez-vous bien, on la refait. Attention, souriez !"

Il fait chaud sous la lampe. Il fait chaud et elle a envie de faire pipi. Et son nœud dans les cheveux la gratte. Et puis d’abord le photographe lui fait peur. 
Alors elle ne dit rien, et elle attend, stoïque et malheureuse, que son calvaire prenne fin et qu’elle puisse enfin retirer ses souliers qui lui font mal, ce nœud ridicule et cette robe trop courte.

Yvonne a 4 ans. 

(…) la suite après le saut



Benjamine d’une fratrie de cinq enfants, deux garçons trois filles.
Trois bruns, deux blonds. Jacques, Nicole, Marie, Hervé et Yvonne. 
(Il y en aura encore trois autres après mais ils ne le savent pas)

Les quatre grands sont invités à un mariage. 

Leur mère les a lavés, polis, lissés, coiffés au carré, leur a acheté des tenues du dimanche pour aller à la noce : des robes longues pour les filles, un vrai costume de monsieur pour Jacques et une tenue de marin pour Hervé (qui un jour, c’est vrai, ira étudier à l’école de la marine marchande mais ça, elle ne le sait pas encore).

Lucie est fière de ses enfants. 
Fière de les voir ainsi, propres comme des sous neufs, habillés comme à la ville. 

Alors on décide de les emmener chez le photographe. C'est l'affaire d'une demi journée, le père en profitera pour régler quelques affaires.
Au dernier moment on décide d’ajouter sur la photo la petite dernière, Yvonne. 

Elle n’est pas habillée de neuf (personne n’est jamais habillé de neuf quand on arrive après deux sœurs), mais on lui trouve une tenue qui fait l’affaire dans les coffres de bois, on la lave, on la coiffe, on la polis comme les autres. 
Et on l’assoit dans la voiture entre ses deux sœurs en lui faisant promettre de bien se tenir, de ne pas faire honte à sa mère, de ne pas faire sa fofolle. Yvonne promet, le visage fermé, et se tait.

Yvonne boude. 
D’abord, elle ne va pas à la noce. Il parait qu'à la noce, on mange des bonbons et Yvonne aime les bonbons. C'est pas juste.
Ensuite, elle doit supporter en silence ses grandes sœurs qui la narguent avec leur robe longue et leurs souliers blancs alors qu’elle doit se contenter d’une robe courte un peu passée et de vieux souliers marrons trop petits pour elle. C'est vraiment pas juste.

Elle voudrait retourner dans les jupes de sa mère, dans la cuisine, auprès du feu. Ou courir dans les champs, aller regarder la mer se retirer en bas de la route, au Moulin Mer. 
Ou chercher des fraises sauvages, se cacher dans les rochers. 
Tout plutôt que de rester comme ça debout des heures et sans bouger dans ce studio photo qui sent la poussière et les produits chimiques. 
Sous le regard noir de son père qui préfèrerait mille fois être ailleurs lui aussi, qui n’en a que faire de « garder un souvenir des enfants », et qui piaffe, au point de faire perdre patience au photographe qui lui demande de sortir et d'attendre dehors.






2 commentaires:

  1. Bah voila... ça faisait longtemps que j'attendais une histoire mais ça valait le coup !

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