Crédit photo : Arnold S. en 1977 (Magnum via Slate)
Tous les matins, il se lève à 5 heures pour lever de la fonte. Il est tellement crevé quand le réveil sonne qu'il a du mal à se trainer sous la douche. Il reste hébété 10 minutes sous l'eau brûlante avant de terminer par un jet d'eau glacée. Ca le fait crier, mais ça réveille.
Et Casimir, son entraîneur, est déjà arrivé.
Il l'entend presser les oranges dans la cuisine.
Avant de commencer, c'est tous les jours pareil : 1 kilo d'oranges pressées. Avec la pulpe. Beurk.
Il n'aime pas la pulpe. Quand il était petit, sa mère l'enlevait toujours.
Mais sa mère n'est plus là. Elle est retirée dans son penthouse avec son quatrième mari et ne l'appelle jamais. Trop encombrant ce fils culturiste. Pas en harmonie dans son tableau. Galéristes, intellectuels, peintres et cet artiste bizarre aux cheveux blancs avec un nom de l'Est : Warhol. Qui prend des photos et qui en fait des tableaux hors de prix. Sa mère, qui se fait appeler Théodora maintenant. Elle trouvait que Cäcilie faisait trop autrichien. Elle ne veut plus qu'on la lie à l'Autriche. Elle prétend être polonaise.
Konrad secoue la tête. Il faut qu'il arrête de penser à sa mère.
Il a 3 heures de musculation qui l'attendent. Et avec le vieux Casimir, c'est vraiment pas de la tarte. Depuis un an son corps apprend à se plier à la discipline de fer de Casimir. Après les poids, il y aura la corde à sauter et puis le petit déjeuner : un porridge lourd et gras qui le fait dormir comme une pierre pendant une heure.
Et puis les deux heures de course. De plus en plus dures à mesure que sa silhouette s'alourdit.
Le déjeuner de viande. Encore une heure de sieste. Et puis 3 heures d'abdos et de machines. Et pour terminer la journée, les extras de déménageurs pour gagner un peu d'argent et payer son loyer. Avant de retrouver son lit, mort de fatigue, à 9 heures.
Il ne peut plus s'habiller chez Target. Ses bras sont trop épais et ses cuisses aussi.
C'est la femme de Casimir qui lui coud des costumes sur mesure.
Avec des grands cols et des revers brillants. Ses cheveux trop longs, alors il ressemble à un mafieux de Brest-Litovsk. Pas étonnant que sa mère fasse mine de ne pas le reconnaître.
Sa mère encore.
Dans un mois Konrad va tenter le concours de Pennsylvanie. S'il gagne, il ira au championnat national. Konrad vise championnat du monde. Cette année. A Paris.
Il fait tout ça pour aller à Paris.
Pour avoir la chance de recroiser le regard de Mélina et d'honorer sa promesse.
Mélina avec qui il a grandi.
Mélina qu'il a promis d'épouser.
Il a encore la mèche de cheveux qu'elle lui a donnée, un soir, dans le hall de l'immeuble, en lui jurant un amour éternel.
Mélina qui est partie en France. Le père de Mélina était le meilleur fourreur de Brooklyn. Et un couturier a voulu qu'il le rejoigne.
Et ils sont tous partis. Mélina, ses 4 frères et ses parents.
Et depuis Konrad écrit toutes les semaines à Mélina. Et Mélina lui répond. Elle l'attend. Et lui doit trouver l'argent pour la rejoindre.
Encore un mois.
Il arrive.
Peu importe les sacrifices. Les heures de souffrance, les piqures, les rares heures de sommeil. Ca en vaut la peine.
Il pense au sourire de Mélina.