Crédit photo : Go Go Abigail
La lumière est blafarde. On voit l'ombre d'une femme de ménage au dernier rang, courbée vers les sièges. Le régisseur rugit. Le technicien a une angine et vient de déclarer forfait. Il faut trouver un remplaçant, le former.
Le propriétaire de la salle écoute le régisseur en penchant la tête, les mains derrière le dos. Il en a vu d'autres. Et il a d'autres soucis. Ce soir, on joue à guichets fermés. Mais ce n'est plus si fréquent. Le Zénith lui fait de l'ombre. Il va falloir trouver des idées. Accueillir des réunions de prêcheurs évangélistes ? Des avant-premières de cinéma ? Des meetings politiques ? On est loin des créations originales, des pièces de théâtre d'avant garde qui ont fait les beaux jours de la salle dans les années 70. Et ça ne plait pas beaucoup au propriétaire.
Elle entre côté jardin. Petite, menue, un peu blanche et mal coiffée. On dirait qu'elle s'excuse presque d'être là. Elle avance à petits pas, se pose en équilibre au bord de la scène et ne bouge plus. Elle s'imprègne de l'atmosphère de la salle, elle l'apprivoise. Elle ferme les yeux...
"Dans 4 heures, la salle va s'éteindre. Je serai dans les coulisses, la peur au ventre et le coeur au bord des lèvres. Prête à tout pour ne pas être là et la rage d'y aller quand même.
J'essuierai mes mains un peu moites sur mes hanches. Le contact avec l'étoffe de la robe me calmera, comme toujours.
Je réclamerai un verre d'eau, comme toujours. Et comme à chaque fois, je lui trouverai un goût de terre.
Je jetterai un dernier coup d'oeil vers le ciel pour implorer sa clémence.
J'embrasserai mes doigts un par un. Un par enfant et le dernier pour leur père. Pour qu'ils restent avec moi.
Une grande respiration.
Une deuxième.
Et la main droite levée pour donner le signal du départ : le rideau rouge qui s'écarte, la poursuite qui apparaît au coin de la scène et qui me fait signe d'avancer.
Et les mots qui se bousculent dans ma tête et qu'il faut que je sorte. Maintenant."