Elle n'a pas de temps à perdre.
Accrochée à sa poussette, un enfant à gauche et un autre à droite, elle trace sa route sur les trottoirs encombrés.
Même de dos, on sent la tension dans tout son corps, dans toute sa tête : déposer le petit chez la nourrice, déposer la cadette à l'école primaire et traverser la route pour laisser le petit à la maternelle. Attraper le train de 8 heures 32, et puis le bus, le métro avant d'arriver pile à l'heure pour embaucher. Le parcours est millimétré, chronométré.
Elle n'est pas bien réveillée mais ses pieds vont tous seuls.
Ses grands papillonnent autour d'elle. S'arrêtent pour regarder une trace sur le bitume, essayer de composer les codes des immeubles. Ca ne l'amuse pas, mais ça ne la dérange pas non plus. Elle repète machinalement "allez, venez" "dépêchez vous on va être en retard" en pensant au premier client qui l'attend et à la facture à faire pour Pottier. En pensant aussi à son lit qu'elle a quitté trop tôt et qui l'appelle. Elle aimerait bien prendre son temps, sauter dans les mini flaques avec eux mais ce n'est vraiment pas le moment. C'était dimanche au parc, ou l'été dernier à la plage. Là, elle a le train de 9 heures 32 dans le viseur et n'a vraiment pas la tête à se laisser attendrir.
Eux s'en fichent bien, ils vivent dans leur monde, affrontent des terreurs et font des découvertes merveilleuses, se chamaillent et profitent de la présence de leur mère jusqu'au bout du plus loin possible.
Ce matin, elle a attrapé une jupe, un collant et ses bottes en vinyle.
Elle est féminine elle aime les vêtements ajustés, près du corps, qui mettent en valeur sa silhouette nerveuse et sportive.
La jupe est en stretch, elle épouse ses formes et se plie à ses grandes enjambées sur les trottoirs encombrés. Elle est aussi très courte, juste sous les fesses, fond noir avec une inscription qui se répète comme une ritournelle tout autour du tissu : "love is hard"