Quand on est arrivés dans cette maison neuve, le jardin n'était qu'un champ creusé de sillons de tracto pelles avec des grandes flaques et dans un coin, un grand portique en métal gris avec une corde à noeuds, une balançoire et un trapèze. C'était un champ bordé d'un talus encore nu et d'un grand pommier qu'on disait vieux et malade. Un grand champ avec au fond un moche mur en parpaing.
Ma mère a passé des centaines d'heures dans ce jardin. Elle y a planté un palmier, un rhododendron, un camélia, des bambous sur les talus et une haie de troène pour nous cacher des voisins. Et puis des fleurs, beaucoup de fleurs. Les somptueux hortensias qui ne sont jamais si beaux que dans cette terre fertile, les délicates couronnes du Christ et les super stars une peu bégueules, les roses un peu chochottes mais sans lesquelles un parterre serait tout nu.
J'y ai passé des centaines d'heures moi aussi dans ce jardin : sur la balançoire, planquée derrière les arbres ou allongée sur un transat à l'abri du vent à lire des heures. Et aussi plantée devant ma mère pour lui raconter ma journée pendant qu'elle binait, à genoux dans la terre.
J'y ai grandi sans vraiment me rendre compte qu'il grandissait aussi, sans me rendre compte de l'incroyable profusion de plantes qu'il abritait petit à petit et qui petit à petit grignotait la pelouse.
Et puis la semaine passée, près de 40 ans après les sillons de tracto pelles, toute la vie de ce jardin extraordinaire m'a sauté droit dans les yeux.