lundi 31 mai 2010

Bullshit

En octobre 1988, je suis venue à Paris pour intégrer une école de commerce. Je ne savais pas si c'était vraiment cela que je voulais faire, mais l'idée de partir faire mes études loin de chez moi me donnait des papillons dans le ventre.
Une toute petite école, pas connue, comme il y en avait plein dans ces années dédiées au business triomphant. Avec des cours de stats, des cours de langues, de pub, de marketing. 3 ans d'études pour être diplômés.
J'ai dû passer à côté de beaucoup de choses pendant ces trois années.
J'étais jeune et naïve.
Un vrai poussin de l'année.
Paris était une fête foraine que je découvrais les yeux écarquillés.
J'allais en cours tous les jours, prenais des notes en tirant la langue, m'ennuyais aussi, souvent.
Je me couchais tard. je me rendormais dans le RER le matin pour me réveiller in extrémis et arriver essoufflée en cours.

Mais le lundi matin, je passais dans la machine à laver mode essorage.
J'avais cours de marketing avec Georges Chetochine.
Il arrivait comme une boule de feu en classe, nous faisait sursauter, rire, pleurer, nous donnait envie de nous cacher sous la moquette de peur de soulever son ire.
Il exagérait tout, était d'une mauvaise foi absolue, nous racontait le marketing comme si c'était un combat de catch, une épopée médiévale avec des bons et des méchants.
Nous expliquait ses théories, nous enjoignait de lire les livres de l'incontournable pape Kotler pour mieux les détruire de phrases assassines au cours suivant.
Nous faisait travailler sur des cas en anglais auxquels on ne comprenait rien.
Il avait 12 idées par heure. Se lamentait de notre conformisme. Nous disait de faire marcher notre tête, de regarder autour de nous. Se gaussait de notre jeunesse. Nous exhortait à tout lui prendre, à accumuler des savoirs, partout, tout le temps.
Il était souvent grossier, insultant, émaillait ses phrases d'anglicismes, rugissait "Bullshit" devant un exposé de cas manifestement peu convaincant.
Avec lui, on devinait que travailler pouvait être vraiment marrant, exaltant, terrifiant aussi.
Une fois le cours fini, on était tous un peu épuisés, soulagés et perdus. Mais qu'est-ce qu'on allait faire de tout ça ?

Quelques années plus tard, j'ai travaillé dans son entreprise. 4 ans dans l'essoreuse. 4 ans quasi en apnée. Où tous les jours on se dit que cette fois ci, c'est la bonne, on va dans le mur, et en fait non. On s'en tire toujours.
Je ne m'en suis jamais totalement remise.

Il est parti la semaine dernière. Pour de bon.
J'espère qu'un jour mes enfants auront des profs comme lui. Qui leur donneront l'envie.


PS : Tout plein d'autres jolis posters sur le Loveshop.
(et ça vous donnera l'occasion d'aller trainer sur Etsy, ce site US de vente en ligne de tout et n'importe quoi. Pourquoi ça n'existe pas chez nous ?)

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