vendredi 14 janvier 2011
L'entreprise
La vie en entreprise, c'est du travail et un salaire.
Et c'est aussi entrer dans une tribu avec des collègues, des clients, des chefs, le CE, un patois, des questions rituelles et des postures. Et des complots. Et des fantasmes jamais assouvis.
Des collègues : de parfaits inconnus dont on n'aurait jamais croisé la route et qui deviennent des intimes pour 1 an, 5 ans, 10 ans, 18 ans. Avec qui on déjeune, on prend des cafés, on discute au détour d'un couloir, on partage les coups de fil persos. Avec qui on pleure de rire ou on pleure tout court. Qui nous font découvrir la culture arménienne ou les danses africaines. Dont on finit par tout savoir.
Des chefs : qui ont toujours tort - par définition. C'est pour ça qu'ils sont chef non ? On adore les détester, critiquer leurs horaires, leurs méthodes de travail, essayer de deviner ce qu'ils trament dans leur bureau quand ils ferment la porte ou qu'il baisse la voix quand on passe à côté.
Des rituels :
C'est l'appel du conjoint vers 18- 19 heures. A l'heure où tout le monde s'appelle pour se dire "tu rentres à quelle heure ? Chépas, j'ai un truc à finir, ok, bisous, ciao".
Et les rendez-vous avec la machine à café. Tous les jours au même moment "un long court 2 boules de sucre".
Ou les trois mails de celui qui s'en va (le premier pour annoncer le pot de départ, le deuxième pour dire que le pot a commencé et le dernier pour remercier et dire au revoir à tout le monde parce qu'on "gardera un super souvenir des ces années passées avec vous")
Des clients :
Race aussi crainte et adulée que celle des chefs. Parce qu'on sait que notre prime de fin d'année tient à leur satisfaction et à leur signature de contrat. Qu'on affuble de surnoms pour moins en avoir peur. Ceux qu'on ne voit jamais - le mystérieux directeur du marketing ou le non moins insaisissable directeur de division. Et ceux qu'on voit tellement souvent qu'on pourrait s'en faire des collègues. A part que ce sont des clients et qu'un jour ou l'autre on se retrouve dans la même pièce, mais pas du même côté de la table.
Des postures :
Dans l'escalier avec chaque pied sur une marche différente - arrêté sur le chemin du bureau. Debout, au milieu d'un bureau, face au collègue assis. Devant la machine à café. Dehors, une cigarette à la main et l'autre qui tient le café tout en agrippant son manteau parce que ça caille. Sur la chaise du visiteur, dans le bureau.
A disserter sur l'intonation d'un mail, la largeur d'un sourire ou la récurrence d'une demande. L'entreprise est une agora permanente, une place où l'on joue au comportementaliste pendant des heures - qui passent comme des secondes - au sujet du dernier complot en date. Ou du boulot (mais c'est moins drôle)
Un patois.
Ces phrases et ces mots qui font partie de l'histoire de la boite. Ou on va à une "P.O juste après un pilote", ou on "écrit un plan de dep' pour pouvoir dépouiller les tris, les mettre à plat pour pouvoir écrire des en clair, ou un "Comrey va nous faire de la grosse PN". Des tics de langage dont on aura bien du mal à se défaire le jour où on partira
Un CE
Qui se transforme en comité des fêtes à intervalles réguliers. Qui met les petits plats dans les grands et se décarcasse pour le printemps, Noël, la nouvelle année... Qui nous offre une jacinthe ou fait un gouter crêpes. Nous envoie des fleurs et des chèques cadeau. Prend des photos tout le temps et les met sur le réseau interne.
Des complots
Au delà du "qui couche avec qui", éternel sujet de gossips gourmands, il y a les alliances contre nature de Z et R pour déjouer la montée en puissance de M. Ou Roger qui va se plaindre au DAF parce que Philippe n'a pas eu de promotion alors que Yvonne - elle, en a eu.
Des fantasmes jamais assouvis :
Comme dans la publicité du Loto, c'est débarquer en pleine réunion et chanter "au revoir patron".
Ou bien c'est prendre un PC sous le bras, l'air affairé, et filer au Grand Rex au ciné en pleine après-midi. Ou faire des blagues débiles par mail adressé à tous - un vendredi à 14 heures alors que tout le monde est à la bourre.
Ou faire les soldes, le matin, en rentrant d'un rendez-vous à l'autre bout de la ville.
Ou se glisser dans le bureau de la fille de la paie pour regarder le salaire de tout le monde.
Et un jour on sort une dernière fois de l'entreprise, on se retourne pour regarder la façade et on se dit "on s'est bien marrés quand même" avant de partir découvrir une autre tribu.
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